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La francophonie au Japon

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Le designer Christophe Guberan
投稿日 2016年11月11日
最後に更新されたのは 2023年5月25日
Christophe Guberan - de nouveaux procédés pour de nouvelles esthétiques
 
C’est à l’occasion de son exposition personnelle à Tokyo que Franc-Parler a interviewé Christophe Guberan, designer industriel sorti de l’ECAL de Lausanne. Récipiendaire du Swiss Federal Design Award en 2016, il continue ses recherches sur des matériaux tels que le bois, le papier et le textile au MIT (Massachusetts Institute of Technology) et en particulier, l’impression 3D avec de l’eau et son interaction avec les supports.
 
© Franc-Parler

Franc-Parler: Les nouvelles technologies, vous avez sauté directement dessus? Depuis quand avez-vous pensé à utiliser ces imprimantes 3D par exemple?
Christophe Guberan: Alors, en deuxième année en fait, j’ai été amené à travailler sur le papier. Ça a été le déclencheur. C’est projet que j’ai eu la chance de faire avec Christophe Marchand qui est un professeur de l’ECAL et qui est un designer suisse alémanique basé à Zurich. Et on avait comme thème le papier. Et en fait, moi j’ai vite été fasciné par le fait que le papier puisse se gondoler via l’humidité. En ayant cette observation, j’ai essayé manuellement, j’ai racheté beaucoup de papiers. J’ai essayé avec beaucoup d’outils manuels pour voir comment j’arrivais à le déformer, ce papier, moi-même. Quelle était l’influence de l’eau? Et petit à petit en fait, je me suis rendu compte qu’il fallait que je contrôle deux choses, à savoir la quantité d’eau que je devais mettre et la place à laquelle je mettais l’eau. Donc, une quantité d’eau précise, à un endroit précis et en fait simplement, je me suis dit: «Pourquoi je ne mettrais pas de l’eau dans l’imprimante à la maison?» Chose que j’ai faite dans mon bureau, chez moi. C’était vraiment génial, j’ai fait ça pendant cinq jours, ça marchait super. Et après cinq jours, l’imprimante est morte. Du coup, j’ai dû trouver…
 
© Christophe Guberan ECAL 2012

Franc-Parler: Ce n’est pas économique…
Christophe Guberan: Ben, disons que ça fait partie de l’expérimentation . J’ai mis de l’eau donc forcément il y a des choses qui arrivent. J’ai dû un petit peu régler quels liquides je devais mettre, à savoir principalement de l’eau et un ou deux adjuvants associés à ça pour que je puisse imprimer. Donc, ça ça a été un petit peu le début de ma…, si on peut dire, de mon expérimentation avec les machines, mais de manière très simple, sans avoir à intervenir là-dessus. Mais plutôt sur essayer de faire autre chose avec quelque chose qui est donné. Et ça, je pense que c’est quelque chose qui reste maintenant dans mon travail, c’est de dire: «Je ne tiens pas à réinventer les machines, j’aime bien l’idée de dire comment je peux les utiliser différemment. Comment ça peut être un médium créatif, ces machines, et surtout pas les utiliser comme on nous les donne.»
 
© Franc-Parler

Franc-Parler: Ça serait bien de fournir des modèles au grand public…C’est une possibilité de commercialisation?
Christophe Guberan: Ouais, une fois de plus, moi je dirais que ma force, elle est probablement dans cette recherche, dans cette envie de créer avec ces nouvelles technologies. Si le marché, si le système de production classique n’est pas encore prêt pour ça, s’il n’y a pas encore la possibilité, je ne vais pas attendre. Ça veut dire que je suis déjà en train de chercher d’autres matières, je suis déjà en train de travailler avec d’autres machines. Je suis en train de créer mes propres machines. Évidemment si une marque a envie de faire parce qu’elle trouve que ça génère une autre esthétique…On y vient, de nouveau, ma démarche de designer, elle se trouve aussi là. Disons, oui, je ne fais pas d’objets concrets qu’on puisse acheter aujourd’hui, mais je pense que j’arrive à générer via ces nouveaux process, via ces nouvelles technologies, une nouvelle esthétique. Et c’est ça qui m’intéresse en fait: c’est de pouvoir définir mes codes, de ne pas essayer de faire adapter mon design à des technologies qui existent. Mais à savoir que mon esthétique qui émerge aussi du nouveau process. Pour moi chaque process engendre une esthétique en quelque sorte. Qu’est-ce qu’on est capable de faire avec du bois? Qu’est-ce qu’on est capable de faire avec du textile? Et j’aime bien repenser, disons, ces espèces de paramètres qu’on a souvent comme acquis. À savoir avec du bois, on peut faire ça, avec du textile, on peut faire ça. Et bien moi, j’ai envie de dire: «Eh bien maintenant, aujourd’hui avec ces nouvelles technologies, on est capable aussi de faire ça.»
 
avec Carlo Clopath, Self-Assembly Lab

Franc-Parler: Donc, vous travaillez beaucoup sur les concepts, de nouvelles idées. Et comment en vivez-vous?
Christophe Guberan: Alors, disons comme un designer. Il faut savoir que pour un jeune designer, c’est pas forcément évident, hein. Ça veut dire que le designer ou le concept classique qui est un peu un truc qui est une institution, ou disons qui est pris de nouveau comme un acquis, c’est de travailler sur les royalties. Ça veut dire, on dessine un objet, et on imagine qu’il va beaucoup se vendre et sur chaque objet, la boîte qui les fabrique va nous donner un petit pour cent qui s’appelle les royalties. C’est comme ça que ça se fait. Mais, en attendant que cet objet soit produit, qu’il parte en vente et que les gens l’achètent, ça peut être très long. Ça veut dire, attendre sur les royalties, c’est compliqué pour un jeune designer comme moi ou comme Dimitri Bähler par exemple. Ou ça prend du temps et surtout, il faut être connu. Que les entreprises nous fassent confiance un petit peu ou n’aient pas peur de faire un objet avec nous. Ça veut dire: soit on fait un objet qui est incroyable, l’entreprise va le vendre et [elle] sait qu’elle va le vendre parce qu’il est incroyable, soit on est un fameux designer comme monsieur Lehanneur dont on parlait tout à l’heure hors antenne, et connu. Donc, la boîte va dire: «Si je produis un objet avec Lehanneur, les gens vont voir Lehanneur et vont se dire: – Ah, j’aimerais l’objet de Lehanneur.» Ça marche comme ça. Mais en Suisse, parce que je viens de Suisse, je n’ai pas spécifié, de la partie francophone suisse, je ne sais pas quelle partie vous couvrez (toute la partie francophone), tout ça pour dire qu’en Suisse, il y a beaucoup de prix. Le design est très soutenu et aujourd’hui les industriels même s’intéressent un petit peu aux gens créatifs. Il faut savoir qu’en Suisse, on mise beaucoup beaucoup sur l’éducation, sur comme on dit, les têtes. On dit les têtes. Parce qu’on n’a pas de ressources, peu de ressources en Suisse. Et on a peu d’industries finalement qui nous font vraiment vivre si ce n’est celle des montres, mais qui est du luxe disons. Donc, la Suisse a décidé quand même de pas mal miser sur l’éducation. Notamment l’EPFL [École polytechnique fédérale de Lausanne], l’EPFZ [École polytechnique fédérale de Zurich], l’école d’art, donc [elle] pousse et elle promeut ça. Donc, aussi au niveau des prix, la Suisse encourage les designers. J’ai notamment gagné les Swiss designers Awards, cette année, qui est un prix qui récompense les designers suisses de toute la partie, que ce soit la Suisse alémanique… et aussi le Design Hublot prize qui est en fait un des plus prestigieux, disons au niveau du montant qu’on peut gagner, prix. Donc, c’est un prix qui est tout jeune, qui a deux ans mais qui finalement est aussi assez bien, qui est un prix de l’industrie. Je dirais que je suis très fier d’avoir reçu ce prix aussi parce qu’il est la représentation finalement de qu’est-ce que l’industrie et où elle a envie de se placer aujourd’hui. Et si l’industrie m’a donné aujourd’hui ce prix, c’est peut-être qu’il y a un signal ou du moins ça montre que mon travail est un petit peu prospectif, qu’il est aussi tourné sur l’avenir, qu’il peut intéresser l’industrie. En l’occurrence Hublot prize qui est l’industrie horlogère et cette volonté peut-être de l’horlogerie un petit peu de ne pas que jouer sur la tradition et le savoir-faire qui est très bien, mais de dire que: «Nous, on associe des technologies là-dedans.»
 
Franal, ECAL 20111 édité par Alessi

Franc-Parler: Je crois que vous avez également travaillé aussi pour Alessi et Nestlé. L’approche, ça s’est fait de leur côté? Vous avez eu un appel d’offres ou un concours? Comment ça s’est passé?
Christophe Guberan: Ça s’est passé à l’ECAL, à nouveau. C’est là que j’ai fait mes armes dans le design et que j’ai pu voir toutes les possibilités qu’offrait le design. Aujourd’hui, j’en ai choisi une, qui est celle de l’expérimentation, qui essaie de se rapprocher de la technologie et finalement des écoles technologiques comme le MIT, le Self-Assembly lab de Skylar Tibbits, le professeur avec qui je travaille. Ou bien justement, à l’ECAL on a aussi appris à travailler avec des marques. Et ça c’est un truc qui est incroyable dans cette école, c’est que j’étais en deuxième année, donc, tout, tout, tout jeune, et on était amenés à présenter des projets à Milan pour une boîte comme Alessi. Donc, pour moi, c’est juste incroyable qu’une école puisse offrir ça par sa renommée, par sa qualité. Par le grand travail qu’a fait Pierre Keller, à l’époque qui est aussi un francophone, qui a amené beaucoup dans cette école et qui aujourd’hui est continué par Alexis Georgacopoulos. Et cette école finalement permet à des jeunes designers comme moi de travailler avec les plus grandes boîtes. Je veux dire que la plupart des designers rêveraient de pouvoir travailler avec Alessi qui est comme un monument dans l’objet du design. Cette boîte italienne qui nous a permis de faire cet objet-là. Nous étions trente étudiants, ils ont choisi cinq objets et ils les ont produits, dont le mien, qui est toujours aujourd’hui produit par Alessi. J’ai travaillé avec Nestlé, à nouveau en deuxième année. Pour moi, tout s’est passé en deuxième année à l’ECAL. On a été amenés à dessiner des formes de chocolat, ce qui est génial en tant que designer. Parce que en fait, ça amène à une autre dimension, et c’est ça qui est génial dans notre métier et je pense que c’est pour ça aussi que j’ai toujours refusé de travailler pour des marques, j’ai eu plusieurs propositions pour aller travailler directement dans une marque de chaussures… Mais pour moi, c’était un petit peu le fait de dire, bon je fais plus que de la chaussure maintenant. Combien même c’est intéressant, je ne dis pas, je pense que ça me passionnerait, mais je risque de m’embêter un petit peu de ne pas pouvoir découvrir de nouveaux univers, de ne pas pouvoir apprendre. Parce que ce milieu du design en fait, ce qui est génial, hormis que c’est un métier pas trop lucratif quand on est au début, c’est qu’on apprend tout le temps. Et quand j’ai été amené à travailler pour Nestlé, pour le chocolat, donc la maison Cailler à Broc, qui est une institution du chocolat suisse et j’ai été amené suite à ce projet à aller trois mois durant mes vacances d’été. Donc, il y en a qui vont travailler dans des magasins ou des petits boulots d’étudiants, moi j’ai eu la chance de pouvoir aller faire un stage chez Nestlé où je suis allé au Research center of excellence, où on va repenser aux formes du chocolat, au goût, à la façon dont de nouveau, le client va pouvoir s’amuser avec ça. Et j’ai travaillé en fait sur des formes reliées au goût. Et quand on dit des formes, souvent, on parle d’ergonomie et en fait ce qui m’a intéressé là-dedans, c’est qu’on travaille beaucoup sur l’ergonomie, on en revient un petit peu à ce que je disais en architecture. Le fait de pouvoir fantasmer un objet à une petite échelle et d’un coup de le voir tout grand, je le trouve très dur à part si on est un Peter Zumthor et qu’on a la possibilité de pouvoir faire des maquettes à échelle 1 dans une halle. En design, on a cette possibilité de pouvoir être directement dans la forme. Donc, de pouvoir prendre sa main, prendre un objet et essayer de voir s’il tient bien dans la main, s’il fonctionne bien, comment on l’utilise, le donner à sa grand-mère, le donner à sa maman pour voir comment elle réagit avec. Et en l’occurrence, le chocolat, c’est une autre ergonomie. Et à mon avis, c’est l’ergonomie la plus personnelle. C’est: qu’est ce qu’on va être d’accord de mettre dans sa bouche? Comment ça va se mettre en bouche? Et du coup, ces formes étaient reliées à la façon dont on allait les tenir en bouche. Donc, à savoir, un chocolat, par exemple qui allait être fondant…Donc, j’ai travaillé sur des adjectifs, j’ai repris les péchés capitaux. C’est un peu direct, mais l’intérêt était de dire: «Quels sont les caractères qu’on va chercher dans un chocolat?» On parle beaucoup des caractères de goût parce que c’est ça qui nous intéresse, mais on parle peu des caractères formels. Ça veut dire qu’une plaque de chocolat qui est au lait, qui est noir ou qui est très cacaoté ou bien qui a des noisettes ne change pas vraiment de forme, on est d’accord. Moi, ce qui m’intéressait là-dedans, c’est de réfléchir à quelle forme, on pouvait suivre ça pour implémenter l’expérience en bouche, à savoir ses formes. Par exemple, un chocolat noir, je l’ai rendu un peu plus violent, un peu plus rendu un peu plus facetté. Et on va prendre en bouche et il va être un peu plus dur. J’ai travaillé sur la paresse, donc un chocolat au lait un petit peu qui va fondre en bouche. Donc, qui va être quelque chose de très fin, comme ça. Un chocolat qui sera plutôt celui de la gourmandise, qui sera généreux. Mais comment formellement, on montre que c’est de la gourmandise? Ben, on est généreux, il déborde. La forme est très généreuse et finalement c’est toutes ces formes qui induisent aussi les goûts. Donc, là en tant que designer, c’est la forme, la fonction plus ou moins et le goût. Le goût qui est un truc [dont] on n’a pas pas l’habitude en tant que designer, donc on se fait aider à nouveau, parce qu’il y a des gens qui sont experts dans d’autres domaines. Mais pouvoir combiner ces compétences, c’est finalement penser l’entier du chocolat. Et une chose aussi simple que le chocolat peut générer un travail très intéressant là-dessus.
 
Tokyo, le 28 octobre 2016
Propos recueillis: Éric Priou
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