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Esclarmonde Monteil, conservatrice du musée de la toile de Jouy
Article mis en ligne le 21 juin 2016
dernière modification le 25 mai 2023
Impression sur toiles de maître
 
En France, particulièrement, ses motifs de scènes souvent paysannes agrémentent de nombreux textiles d’ameublement tout autant que les papiers peints et se retrouvent également déclinés sur toutes sortes de supports sous le nom générique de toile de Jouy. Celle-ci a son musée situé à Jouy-en-Josas, entre Paris et Versailles, la commune dans laquelle Christophe-Philippe Oberkampf établit en 1759 sa manufacture où l’on imprimait des toiles de coton. La conservatrice Esclarmonde Monteil est venue à Tokyo pour présenter une exposition d’une partie des collections de ces tissus qui marquent l’imaginaire.
 
© Franc-Parler

Franc-Parler : Vous êtes conservatrice. En quoi consiste votre travail ?
Esclarmonde Monteil : Le travail du conservateur, c’est de préserver toutes ces œuvres d’art du passé pour que les générations du futur puissent également en profiter. Et de les mettre en valeur, de diffuser les connaissances qui s’articulent autour de ces œuvres d’art.
 
Franc-Parler : Vous avez choisi ce métier pour quelles raisons ?
Esclarmonde Monteil : J’ai toujours été… Aussi loin que je me souvienne, on m’amenée dans des musées. J’ai toujours adoré ça et j’ai toujours voulu travailler dans le monde de l’art. Malheureusement, je n’ai aucun don artistique moi-même. Je ne suis pas peintre. Donc, j’ai pris l’autre côté du métier, celui du conservateur.
 
Franc-Parler : La toile de Jouy, pour moi, c’est des souvenirs d’enfance : la tapisserie chez mes grands-parents. Est-ce que c’est seulement ça ?
Esclarmonde Monteil : C’est souvent le cas et c’est pour ça que, en fait, il y a un capital sympathie important autour de la toile de Jouy. Parce que beaucoup de gens ont connu ça dans leur maison de campagne ou enfant. Mais ce n’est pas que cela et souvent en fait, le terme désigne des choses qui n’ont pas été produites à Jouy à l’époque où Oberkampf avait sa manufacture.
 
Ch. Bour, Christophe-Philippe Oberkampf au milieu de ses toiles, après 1833. lithographie aquarellée d’après un dessin de F. Philippoteaux © Avec l’aimable autorisation du musée de la toile de Jouy

Franc-Parler : Comment se fait-il que Jouy-en-Josas ait accueilli une manufacture de type-là ?
Esclarmonde Monteil : Ce qui s’est passé probablement, c’est que, Oberkampf qui était ouvrier à Paris, était ouvrier dans le quartier des Gobelins et la rivière de la Bièvre se jette dans Paris dans ce quartier-là. Donc, probablement quand il a cherché un endroit où établir son entreprise, il a dû remonter la rivière qui arrive jusqu’à Jouy-en-Josas. Et là, il avait l’eau de la rivière, les prairies pour étendre ses toiles, et la proximité de Versailles qui était un marché potentiel.
 
Franc-Parler : Manufacture, c’est-à-dire que c’est plus artistique…fabrique qu’artistique ?
Esclarmonde Monteil : En fait, on est juste au tournant de la révolution, à la première révolution industrielle. Donc, quand Oberkampf commence, il est seul avec son frère et trois autres ouvriers. Ils sont dans une petite maison. C’est vraiment de l’artisanat de luxe. Et peu à peu, la manufacture va grandir et il va l’organiser comme une véritable usine. Avec des bâtiments dédiés à chaque opération de fabrication. Et en fin de compte, elle va s’étaler sur plus de quatorze hectares avec une trentaine de bâtiments différents.
 
Franc-Parler : À l’origine, c’était un produit de luxe destiné à la noblesse. Est-ce que ça s’est démocratisé ?
Esclarmonde Monteil : Oui, pour les plus belles toiles. Mais il a toujours produit aussi des toiles très simples qu’il a appelées des mignonnettes avec des petites fleurs en une seule ou deux couleurs qui se répétaient, qui n’étaient pas très subtiles et qui se vendaient très bien. Et qui étaient peu chères à produire.
 
Le parc du château d’après un dessin de J.B. Huet, 1785, impression à la plaque de cuivre sur coton (fabrication de Jouy) © Avec l’aimable autorisation du Musée de la toile de Jouy

Franc-Parler : Moi, dans ma vision, la toile de Jouy, c’est quelque chose d’assez classique. À l’époque, c’était classique ou c’était moderne ?
Esclarmonde Monteil : Non, non, c’était moderne. C’était très moderne parce qu’on n’avait jamais vu ça. Si vous vouliez avoir des gens dans un paysage etc., vous aviez une tapisserie en fait. Comme celles qui sont au début de l’exposition. Donc, là c’est vraiment nouveau. Ça permet d’avoir des scènes avec des personnages imprimés pour tendre sur ses murs, mais aussi son lit, ses fauteuils etc. Donc, c’était quelque chose de nouveau. Et puis, après ils ont fait des motifs vraiment très géométriques. Ils ont fait dès le début du XIXe siècle du léopard. C’était vraiment très très innovant.
 
Franc-Parler : Peut-on dire que c’est un témoin de son temps ?
Esclarmonde Monteil : Oui, tout à fait parce qu’il a traversé, je ne sais plus, cinq ou six régimes politiques si l’on compte la Convention, le Consulat etc. De Louis XV jusqu’à 1815. C’est une période où beaucoup de changements se produisent en France tant dans la société que dans les goûts. Et toute la production de la manufacture reflète en quelque sorte tous ces changements.
 
Franc-Parler : Je reviens à ce qui est pour moi le plus classique, pardon. Ces toiles, les scènes rustiques, champêtres…D’où vient ce style ?
Esclarmonde Monteil : On peut faire remonter cela aux peintures de Boucher, de Watteau… Tout ce courant de scènes bucoliques, pastorales. C’est vraiment tout ce courant du début du XVIIIe siècle que Oberkampf va retraduire dans ses toiles bien plus tard.
 
Musée de la toile de Jouy à Jouy-en-Josas © Musée de la toile de Jouy

Franc-Parler : Alors, le musée de la toile de Jouy, comment fait-il pour réunir des pièces fragiles ?
Esclarmonde Monteil : Oui. Alors, ce sont des pièces survivantes. Moi, je dis toujours que ce sont vraiment des rescapées parce que la plupart du temps, celles qui servaient dans les décors d’ameublement ont été enlevées et jetées tout simplement. Mais on a la chance que les descendants d’Oberkampf aient le culte de leur ancêtre dès la fin du XIXe siècle. Et donc, ils ont gardé pieusement dans la famille de nombreuses choses qu’ils ont ensuite, à partir des années 70, quand le musée s’est ouvert à Jouy, donné beaucoup au musée. Et encore aujourd’hui, le président des Amis du musée de la toile de Jouy est un descendant d’Oberkampf et nous aide beaucoup à acheter en vente aux enchères ou à acquérir de façon différente des pièces pour nos collections.
 
Robe de style Empire, 1795-1805, impression sur coton, mousseline (production de Jouy) © Avec l’aimable autorisation du musée de la toile de Jouy

Franc-Parler : Quelles sont les protections que vous [appliquez] pour ces objets ?
Esclarmonde Monteil : Alors, le plus important, c’est de ne pas trop les mettre à la lumière, en fait. C’est pour ça que dans l’exposition, il fait assez sombre, parce qu’on doit rester à 50 lux et normalement pas plus de trois mois par an. Même si les productions d’Oberkampf étaient “bon teint” et qu’elles ont relativement bien résisté aux outrages du temps, la lumière et surtout la lumière directe du soleil, c’est le plus grand danger pour ces toiles.
 
Franc-Parler : D’accord. Ce sont des toiles qui sortent peu du musée alors…
Esclarmonde Monteil : Oui. D’où l’intérêt pour nous au musée d’avoir plusieurs exemplaires du même motif pour faire tourner les présentations dans les salles.
 
Franc-Parler : C’est une fabrication qui est arrêtée sur le territoire de la commune. Est-ce qu’il y a un espoir, un jour de revoir une fabrique ?
Esclarmonde Monteil : Alors, à Jouy non mais tous les autres éditeurs de tissus se sont emparés des modèles, ce qui fait qu’il y a des toiles de Jouy qui sont produites un peu partout dans le monde. Et puis des gens comme Charles Burger, Pierre Frey, tous les grands éditeurs de tissus en fait , maintenant produisent des toiles de Jouy. La maison Braquenié avait racheté des motifs, au moment même de la fermeture de la manufacture à Jouy et les produit depuis. Donc, il y a eu une transmission comme ça qui s’est faite depuis la fermeture de la manufacture.
 
Franc-Parler : [En plaisantant] Donc, si on prend le métro Oberkampf à Paris, on arrive directement à Jouy-en-Josas ?
Esclarmonde Monteil : Hélas non. [rires] Je ne sais d’ailleurs pas pourquoi cette station de métro-là et cette rue-là ont pris le nom d’Oberkampf. Et malheureusement, la plupart de gens ignorent qui était Oberkampf. Et c’est le travail de notre musée et grâce à des expositions comme celle-là de faire qu’il soit reconnu pour la toile de Jouy.
 
Bonnes herbes, fin du XVIIIe-début du XIXe, impression sur coton (production de Jouy) © Avec l’aimable autorisation du musée de la toile de Jouy

Franc-Parler : Faites-vous des expositions particulières dans votre musée ?
Esclarmonde Monteil : Oui, on essaie d’avoir chaque année au moins une exposition temporaire en plus de la présentation permanente des collections. Et parfois des expositions vraiment d’art contemporain parce qu’il y a beaucoup d’artistes contemporains qui sont inspirés par la toile de Jouy ou qui l’utilisent dans leurs œuvres. Donc, on essaie d’alterner expositions d’art contemporain et expositions patrimoniales.
 
Juin 2016
Propos recueillis : Éric Priou
 

Exposition Toile de Jouy, textiles imprimés de France
 
Musée du Bunkamura à Tokyo, tous les jours du 14 juin au 31 juillet 2016 de 10 heures à 19 heures (vendredis et samedis jusqu’à 21 heures)
Tarifs : normal : 1400 yens étudiants-lycéens : 1000 yens collégiens-écoliers : 700 yens http://toiledejouy.jp/
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