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Neelanthi Vadivel, directrice artistique du spectacle Totem au Cirque du Soleil
Article mis en ligne le 14 mai 2016
dernière modification le 25 mai 2023
Totem ou les feux du Cirque du Soleil
 
Le Cirque du Soleil, renommé pour avoir su renouveler le genre et son parti pris de ne pas utiliser d’animaux, est revenu planter son chapiteau à Tokyo et présente Totem, un spectacle haut en couleurs pour la plus grande joie des petits et des grands. C’est le début d’une tournée qui continuera en province. Entrons sous la tente avec pour guide, l’ancienne danseuse Neelanthi Vadivel, directrice artistique du spectacle, qui en connaît tous les recoins.
 
© Franc-Parler

Franc-Parler : Vous souvenez-vous de vos premiers pas, vos vrais pas de danse ?
Neelanthi Vadivel : Premiers, premiers pas de danse. Les vrais ou dans le salon, à jouer ? Pour moi, c’était ça, moi c’était vraiment juste, je mettais un disque et je dansais dans le salon. C’était quelque chose. Ma mère, elle a décidé très vite, j’avais peut-être cinq ans, qu’il fallait me mettre dans des cours plus formels de danse parce que je dansais tout le temps. J’étais tout le temps en train d’écouter de la musique et de bouger dans la maison. Alors, elle m’a mise à l’âge de 5 ans dans des classes de ballet. Et ensuite, à l’âge de six ans, mon père est d’origine sri-lankaise et donc, elle a essayé de trouver de la danse traditionnelle indienne bharata natyam. Et là, j’ai commencé la danse bharata natyam aussi. Donc, je faisais ballet, bharata natyam pendant plusieurs années dans mon enfance. C’étaient vraiment les premiers cours formels avec professeurs.
 
Franc-Parler : Ce qui fait que vous avez une formation très éclectique en fait…
Neelanthi Vadivel : Oui. Par la suite, plus tard, c’étaient de la danse jazz, la danse contemporaine et le flamenco, n’importe quoi, la danse hip-hop. Je faisais tout, tout, tout, tout. Sauf la claquette. Je pense que la claquette, c’est peut-être la seule discipline que j’ai pas faite.
 
Franc-parler : Un jour peut-être…
Neelanthi Vadivel : [Rires] Peut-être, mais sinon toutes les autres, oui.
 
Franc-Parler : Avant le Cirque du Soleil, vous avez travaillé pour d’autres types de compagnies…
Neelanthi Vadivel : Oui, j’ai travaillé pour des compagnies de danse. Vraiment strictement danse classique d’abord, avec une compagnie qui s’appelle Les Grands Ballets Canadiens. Donc, qui est vraiment une compagnie dans la province du Québec qui performe tous les classiques. On travaillait aussi avec des chorégraphes contemporains mais c’était un mix assez…On faisait beaucoup plus de classique en fait. Ensuite, après trois ans, moi j’ai décidé d’aller vraiment plus vers le contemporain. Alors j’ai travaillé avec les Ballets jazz de Montréal qui était une plus petite compagnie de tournées, qui travaillait vraiment avec trois-quatre chorégraphes par année. Donc, c’est toujours de la création, c’étaient toujours des mouvements plus contemporains, plus actuels. Et ça, j’ai fait ça pendant huit ans. Et à la fin de ça, j’ai eu une offre avec Le Cirque du Soleil. Ils avaient besoin d’une danseuse contemporaine indienne parce que le rôle demandait une technique de bharata natyam. Donc, j’ai été repuiser un peu dans ce que j’avais appris, enfant en danse bharata natyam avec un mélange contemporain. Et j’ai fait ce rôle-là pendant deux ans et demi avant de prendre ma retraite finalement. J’ai décidé de quitter la scène.
 
Photo : OSA Images Costumes : Kym Barrett © 2010 Cirque du Soleil

Franc-Parler : Une retraite qui continue par votre rôle de directrice artistique. Alors, directrice artistique dans un cirque, qu’est-ce que c’est ?
Neelanthi Vadivel : [Rires] C’est différent, c’est pas le même profil qu’un directeur artistique dans une compagnie de danse ou d’opéra ou de théâtre. Traditionnellement, le directeur artistique était le créateur, le chorégraphe, peut-être la personne qui travaillait beaucoup, beaucoup plus en création. Tandis que nous au Cirque du Soleil, on a des directeurs de création qui créent les œuvres mais ensuite les productions peuvent durer jusqu’à vingt ans. Et pendant ce temps-là, on a des équipes qui maintiennent le travail. C’est plutôt mon travail ici au cirque. La directrice artistique doit maintenir l’intégrité initiale de l’œuvre vraiment et être certaine qu’on ne dérape pas, qu’on ne va pas dans des directions que le créateur n’avait pas. En même temps, il faut que ça reste frais, il faut que ça reste toujours en développement. Donc, j’ai besoin aussi d’influencer un avancement, des améliorations, des petits changements, travailler avec les nouveaux artistes. Et c’est pas les mêmes artistes pendant vingt ans évidemment. Donc, à chaque fois qu’il y a un nouvel artiste, il amène une autre approche, un autre bagage de techniques, de background, d’idées, de personnalité. Donc, tout ça, on peut nourrir l’œuvre constamment et ça, c’est vraiment le gros de mon travail, c’est d’amener le show toujours à être le plus à point, le plus pertinent pour le public qui va le voir.
 
Photo : Matt Beard Costumes : Kym Barrett © 2014 Cirque du Soleil

Franc-Parler : Vous vous occupez de Totem depuis combien de temps ?
Neelanthi Vadivel : Totem, deux ans et demi. Je me suis occupée de Saltimbanco pendant trois ans, qui était, voilà, un spectacle classique, Cirque du Soleil. J’ai travaillé sur le spectacle les trois dernières années de cette production-là. Donc, vraiment, c’était une grande opportunité aussi de voir comment un spectacle qui avait vingt ans de vie, comment on pourrait vraiment finir en grand, finir avec une œuvre que… Les critiques se demandaient pourquoi on fermait le spectacle, en fait. On avait vraiment de très belles critiques à la fin. Ça c’était vraiment intéressant pour nous de voir qu’on a pu amener et que ça n’a pas dépéri, ça n’a pas perdu de sa puissance originale. On a pu rendre hommage au créateur Franco Dragone de ce spectacle-là avec les dernières performances. Ensuite, j’ai travaillé avec une œuvre complètement différente Michael Jackson One world tour. C’était une espèce d’hommage à Michael Jackson en tournée, en arena. Un spectacle à grand déploiement, immense avec des musiciens de l’industrie très très très reconnus, des musiciens qui avaient travaillé avec Michael Jackson pendant des années. Donc, c’était vraiment rock and roll. On travaillait plutôt une approche très différente avec beaucoup de danseurs, quelques acrobates et vraiment, c’étaient les musiciens, les vedettes du show à ce moment-là. Donc, pas trop, pas nécessairement ce qu’on attendait d’un show au Cirque du Soleil. Des fois les gens… c’étaient plutôt des fans de Michael Jackson qui voyaient le show. C’était très différent. Ensuite, on m’a appelée pour venir travailler sur Totem. Et là, je suis revenue vraiment dans le monde…c’est très Cirque du Soleil. C’est Robert Lepage, c’est un directeur québécois qui a une vision vraiment magnifique. C’est un directeur de théâtre, d’opéra, de cinéma. Donc, il a vraiment une vision, une esthétique qui est magnifique. Pour nous dans le show, on vit plein d’émotions avec le spectacle, le public passe dans plein d’endroits différents.
 
Franc-Parler : Quel est le fil directeur de ce spectacle Totem ?
Neelanthi Vadivel : Donc, c’est vraiment une thématique très large. Robert Lepage a décidé de faire un spectacle sur l’évolution humaine. Et donc, c’est immense. On peut aborder le sujet de millions de façons. Il a décidé de l’aborder d’une façon un peu légère dans le sens où il ne voulait pas que ça soit chronologique. Il ne voulait pas expliquer une seule théorie, il ne voulait pas simplement passer d’un poisson à un lézard à un singe à, tu comprends, à l’humain. Et c’est là, c’est sûr que ces thèmes-là sont là dans le spectacle mais il y a plein d’autres choses aussi. Il était vraiment intéressé par les mythes et légendes de création aussi de tous les peuples de première nation.
 
Photo : OSA Images Costumes : Kym Barrett © 2010 Cirque du Soleil

Franc-Parler : En tant que québécois, je pense…
Neelanthi Vadivel : En tant que québécois. Oui, c’est ça nous…Alors et là, il y a les Amérindiens qui sont présents, qui sont très importants pour Totem. Évidemment, même le mot totem le dit. Mais aussi les influences culturelles, les influences des histoires de création partout au monde vraiment, qui se rejoignent des fois. Mais quelques symboles ici et là, quelques décorations dans les costumes qui ramènent une certaine culture, une certaine histoire, dans la musique, dans les chorégraphies. Donc, on le voit un peu partout dans le spectacle. C’est sûr que l’influence autochtone amérindienne, ça nous est proche et Robert vient du Québec, il voulait vraiment…C’est la première fois que le Cirque aborde un peu ces sujets-là et on remarque deux danseurs amérindiens qui font une danse hoop dance, c’est avec des cerceaux. C’est une forme de danse traditionnelle. En ce moment, on trouve surtout ça dans les pow-wows, donc quand il y a des grands rassemblements de gens pour faire la fête ou pour célébrer ou honorer quelque chose. Ils font des compétitions maintenant beaucoup avec ça. Donc, ça devient de plus en plus complexe dans les figures. Alors nous, on a deux danseurs ici qui font cette danse-là et on a un chanteur amérindien qui est wendat huron du Québec et lui, il chante en wendat. Il était là à la création. Donc, il voulait vraiment…Robert voulait qu’il amène vraiment sa vision et sa culture de façon authentique au spectacle. C’est sûr que ces sujets-là peuvent être un peu sensibles et souvent on nous demande : « Ah, mais est-ce que c’est insultant, de mettre ces danseurs-là sur scène ? Est-ce que c’est insultant d’avoir cette telle plume ou tel symbole ou telle chose qui leur appartient ? » Et en fait, en création, Robert a fait très attention à ça. Et chaque élément amérindien qu’il voulait amener dans le spectacle a passé par un comité d’anciens qui sont dans la tribu du chanteur, de Christian Laveau. Et dans sa tribu wendate, ils ont étudié un peu l’élément qui voulait être proposé et ils décidaient si oui ou non c’était quelque chose de permis. Est-ce qu’on peut dire tel mot, est-ce qu’on peut utiliser tel élément scénique ? Et donc, vraiment tout a passé par ce comité et nous on se sent rassurés qu’on a fait tout pour être respectueux, pour honorer vraiment ces gens et leur culture parce que c’est important pour nous que ça se fasse bien.
 
Franc-Parler : C’est une chose importante pour vous le maquillage ?
Neelanthi Vadivel : Oui, écoute. Pour tous les spectacles Cirque du Soleil, on a des équipes créatives pour chaque spécialité. Donc, le chorégraphe, le compositeur, on a celle qui dessine les costumes et celle qui dessine aussi tous les designs de maquillage. Les artistes doivent apprendre à faire leur maquillage par eux-mêmes. C’est très important. Nous, on n’amène pas de maquilleurs avec nous en tournée. Ça fait partie des responsabilités de chaque artiste d’apprendre à bien faire le maquillage et de maintenir un niveau, un certain standard parce que, écoute, c’est le Cirque du Soleil et les gens s’attendent à voir de beaux costumes, à voir des maquillages incroyables, d’entendre de la musique qui va les faire bouger. Chaque élément doit innover, doit toujours être excitant et émouvant.
 
Franc-Parler : Vous-même, vous avez un très beau tatouage…Pourquoi avez-vous choisi de mettre un tatouage ?
Neelanthi Vadivel : [Rires] Pourquoi ? Ah, j’en ai plus qu’un, là premièrement, mais c’est un truc personnel. C’est des événements importants dans ma vie que j’ai soulignés avec chaque tatouage. Pour moi, un tatouage, c’est d’abord pour souligner quelque chose d’important, mais aussi c’est quelque chose d’esthétique. Donc, comme on choisit d’avoir les cheveux longs ou les cheveux courts, comme on choisit de porter du rouge ou du bleu, pour moi, un tatouage, ça fait partie des choix esthétiques que j’ai faits et voilà. Moi, j’aime bien les tatouages, il y a des gens qui aiment moins bien mais tout le monde peut, par sa peau, s’exprimer. Voilà.
 
Photos : OSA Images Costumes : Kym Barrett © 2010 Cirque du Soleil © 2015 Fuji Television

Franc-Parler : C’est la vie de saltimbanque moderne. Vivre en tournée, pour vous personnellement, comment ça se passe ?
Neelanthi Vadivel : Ça se passe bien. Moi, quand je dansais au Québec, j’étais quand même en tournée peut-être vingt semaines par année. Donc, j’étais déjà à peu près la moitié de l’année en tournée. Ensuite quand je suis passée au Cirque du Soleil, ça fait presque dix ans que je suis en tournée constamment, à temps plein. Moi, j’ai un fils donc, qui est resté avec mon ex-mari à Montréal. Ça fait sept ans qu’il reste vraiment juste avec son père. Et cette année, c’est la première année que mon fils est venu en tournée avec moi pour passer l’année en tournée. Ça, ça a été justement pour nous deux. Il a treize ans donc, il fallait qu’on réapprenne à se connaître un peu et à pouvoir vivre ensemble. Et ça se passe très très très bien en fait. On est très heureux d’avoir passé une année ensemble. C’est sûr que la vie de tournée, c’est pas pour tout le monde. Je vis avec quelques valises, je suis toujours toujours partie. Je vois ma famille à Montréal peut-être deux/trois fois par année, des fois moins. Mais c’est ma famille de tournée. J’ai des amis partout au monde et j’ai vu pleins d’endroits qui sont importants pour moi. Maintenant je retourne, j’aime voyager, je retourne dans ces endroits-là souvent et je pense que je ne demanderais pas d’autre chose, je ne voudrais pas une autre vie. Pour moi, c’est la vie de tournées.
 
Franc-Parler : Vous êtes actuellement en tournée au Japon. Vous resterez jusqu’à quelle date à peu près ici ?
Neelanthi Vadivel : Au Japon ? On est là jusqu’au [21] mai 2017. Un an et demi au total.
 
Franc-Parler : Vous avez le temps de voir. Et après, est ce que vous avez déjà une vision de ce que vous allez faire par la suite ?
Neelanthi Vadivel : On nous dit que sûrement, l’Europe serait la prochaine étape pour nous. Totem n’a pas été en Europe encore, vraiment. Normalement, les tournées au cirque font à peu près trois ans en Amérique du Nord, elles font à peu près trois ans en Europe, un an et demi au Japon, un an en Australie. Il y a l’Amérique du Sud normalement après. Par la suite, les spectacles qui sont en chapiteau comme ça peuvent être transformés en format arena. Donc, à ce moment-là, on perd le chapiteau, on perd tout ce qui est site et on peut se déplacer de façon beaucoup plus rapide. En format arena, on se rend dans des arenas, des salles de spectacles qui sont déjà construites et donc on peut faire des marchés plus petits. Rester un peu moins longtemps et se déplacer peut-être à chaque semaine, à chaque deux semaines. Moi, j’ai fait ça pendant cinq ans. Sur Saltimbanco et Michael Jackson, c’étaient des tournées d’arenas que je faisais. Et ça, on se déplaçait à chaque semaine. C’est un « pace » pas mal plus rapide. J’ai aimé ça, mais j’aime aussi en ce moment prendre ça un peu plus cool et rester trois/quatre mois dans une ville. Ça me plaît aussi.
 
Mai 2016
Propos recueillis : Éric Priou
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