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Barbara Claus, artiste contemporaine
Article mis en ligne le 31 août 2015
dernière modification le 25 mai 2023
Barbara Claus, artiste contemporaine - Entre permanence et renouveau
 
C’est bien connu, les voyages et les rencontres forment les artistes. Le Québec offre ainsi une résidence de plusieurs mois à Tokyo à l’une de ses créatrices, Barbara Claus. À elle, les grands espaces tokyoïtes, l’énergie de la ville et la stimulation apportée par les échanges.
 
Barbara Claus

Franc-Parler : Vous êtes en résidence au Japon. Comment ça s’est passé pour venir jusqu’ici depuis le Québec ?
Barbara Claus : En fait, ce sont les studios du Québec à l’Étranger. Le gouvernement du Québec et le ministère de la Culture, le Conseil des Arts et des Lettres ont six studios à l’étranger. Il y en a un à New-York. un à Berlin. un à Paris. un à Tokyo, un à Londres et un à Rome. Et il faut être artiste professionnel, avoir au moins dix ans d’expérience et soumettre une demande, un projet. La plupart de ces studios sont pour des gens qui ont donc, au minimum 10 ans d’expérience, la spécificité, c’est qu’ils s’adressent à des gens en arts visuels, en théâtre, en musique, en littérature. Donc, [ce sont] vraiment des compétitions qui sont très difficiles à obtenir. Parce qu’on est jugé avec des gens d’autres domaines. Ça peut être un musicien qui a un concert au Japon. Donc, c’est vraiment tout à fait aléatoire, on ne sait jamais si on a une chance d’être accepté. Et moi, ça fait depuis 2008 que le studio existe, je pense, à Tokyo et que je me suis dit : « Il faut que j’applique. » Et j’ai appliqué deux fois. Oui, c’est ça, c’est ma deuxième fois.
 
Franc-Parler : Quelle a été votre “botte secrète” pour cette fois-ci ?
Barbara Claus : Je ne sais pas. Je pense que ça dépend vraiment de comment les gens…Moi, j’ai été sur des jurys au Conseil des Arts et des Lettres du Québec, donc je sais un petit peu comment ça fonctionne. Et j’ai été aussi dans des jurys multidisciplinaires et je pense que c’est vraiment une question de consensus, de groupe, de discussions, de regarder le travail…C’est ça et puis d’échanger et de choisir la ou les meilleures personnes selon, c’est très subjectif, je dirais, mais selon des critères de qualité. Puis je dirais que l’autre avantage, c’est que ces studios n’ont pas pour objectif, pour l’artiste, de travailler. C’est plus du ressourcement. On peut faire un projet très spécifique mais on peut aussi dire : « Je veux aller à Tokyo pour m’inspirer, pour regarder la ville, apprendre sur la culture. » C’est très varié comme motivations, en fait pour les gens qui viennent ici.
 
Franc-Parler : La vôtre, c’est quoi ?
Barbara Claus : C’est une longue histoire. Disons que depuis un certain temps, je fais des démarches pour faire une résidence au Japon. J’ai fait des envois pour Kyoto, pour un organisme aussi plus local. C’est plus un centre autogéré où il y a des résidences mais qui sont payantes. Donc, il y a beaucoup de résidences au Japon, mais la plupart sont payantes. Ici, on a le studio, on reçoit une bourse, donc c’est beaucoup plus facile aussi de venir, vu que le Japon, c’est un pays assez onéreux. En fait, ce que j’ai proposé, en 92, donc il y a longtemps, quand j’étais jeune artiste, j’ai eu une exposition à Québec. Et je partageais, à la galerie La chambre blanche, je partageais l’espace avec un artiste japonais. J’ai un souvenir très très fort de cette brève rencontre, parce que lui montait son travail. C’était une galerie en L, moi, j’avais la petite salle, lui la grande salle. Lui [Hideho Tanaka], c’était un artiste de la fibre, du textile, puis il montait une installation avec des fils, des centaines de fils dans l’espace. Puis il y avait quelque chose dans sa façon de travailler qui m’a beaucoup impressionnée. Et je m’étais dit : « Un jour, il faut que j’aille le voir au Japon. » Mais ça c’est en 92, donc ça fait longtemps. Et puis, c’est sûr que, très jeune, j’adore le cinéma, j’ai vu tous les Ozu. J’ai regardé beaucoup le cinéma japonais en noir et blanc quand j’étais jeune, la littérature japonaise aussi. L’architecture me fascine, j’ai des intérêts assez vastes sur la culture japonaise mais je ne suis jamais venue au Japon. Donc…
 
Franc-Parler : Vous parliez à l’instant de noir et blanc donc, qui se se retrouve aussi dans beaucoup de vos œuvres, j’ai l’impression.
Barbara Claus : Oui, j’ai travaillé beaucoup en noir et blanc. J’ai une formation de sérigraphe à La Cambre en Belgique. Je suis originaire de Belgique. Il y a vingt-cinq ans, je suis venue au Québec pour faire ma maîtrise mais j’avais déjà l’équivalent à peu près d’une maîtrise quand j’ai terminé mes études en Belgique. Donc, c’était plus une excuse pour venir vivre au Québec. Et c’est ça, j’ai une formation de sérigraphe. J’ai fait beaucoup de photo dans les années 90, des installations aussi, des grands formats, des dessins au mur. Je dirais que dans les années 90 après ma maîtrise, j’ai été dans une période assez faste où j’ai obtenu des bourses, j’ai été invitée pour des expositions, j’ai fait aussi beaucoup de démarches pour faire la promotion de mon travail. Puis il y a eu un petit creux. Et puis là, c’est comme un redémarrage. Je ne vous donnerai pas tous les détails de ma vie personnelle mais j’ai aussi essayé de démarrer une compagnie aussi à un moment donné, parce que c’est toujours le dilemme quand on est artiste. Comment dire, moi je suis née artiste puis je vais mourir artiste. Je ne peux pas faire autre chose. Oui, je peux faire plein de choses différentes, mais c’est presque une question de survie-là, de bien-être.
 
Franc-Parler : Vous avez une approche très philosophique de votre travail d’artiste.
Barbara Claus : On peut dire ça. Je pense que ce questionnement-là sur l’éphémère, le temps, le rapport au temps dans le travail, la lenteur, le processus sont des choses importantes. Eh oui, j’essaie d’aborder mes œuvres comme quelque chose d’un peu plus grand ou de plus universel que juste de produire un objet. J’ai de la difficulté à produire des objets, en fait.
 
Barbara Claus, je suis trou

Franc-Parler : De la difficulté ? C’est-à-dire…
Barbara Claus : C’est-à-dire que je n’aime pas accumuler des choses. Donc, je ne peux pas produire un tableau, puis le garder. Ce que je garde pour le moment, ce sont des dessins sur papier. Mais la plupart de mes œuvres sont réalisées in situ sur des murs directement dans les espaces et après ça, elles disparaissent. Ils sont recouverts, ils sont repeints. Ce que vous voyez là, j’appelle ça une “murale”, mais c’est un travail sur un grand panneau de gypse, donc de plâtre qui est dans un grand espace que j’ai loué pendant quatre mois. J’ai eu accès à un lieu assez grand et j’ai construit plusieurs structures et j’ai travaillé pendant plusieurs semaines là-dessus. Et puis c’est disparu.
 
Franc-Parler : Vous maniez beaucoup l’écriture dans votre travail…
Barbara Claus : Oui, dans certaines choses. J’ai un petit peu, pas mis ça de côté,
Barbara Claus, un très vieux mur

non, je vais continuer. Mais j’ai utilisé le “je suis” et “je suis vieille” pour parler de l’obsolescence, de l’obsolescence en art contemporain, du passage du temps, l’âgisme qui sont des thèmes, des choses qu’on retrouve, qu’on vit comme artiste de 50 ans et plus. Avec les nouvelles générations qui sont toujours mises de l’avant. La difficulté, je pense, dans les sociétés occidentales, je ne sais pas au Japon, mais l’idée de la transmission entre des jeunes et des personnes plus âgées.

Donc, c’est l’idée de l’âgisme. Cette notion d’être vieux et moi, c’est avec un certain humour dans… non, je n’aime pas le terme d’humour, non. Quand je fais une murale où j’écris “je suis vieille” à répétition sur un mur et puis que ça devient une sorte de nuage flottant avec un néon, je parle aussi de cette idée de la permanence et de l’éphémère. Le néon reste allumé pour toujours, puis le dessin, lui disparaît. Je l’écris, ça fait de la poussière et après ça, je l’efface, mais le néon, je l’ai toujours. Donc, c’est cette idée d’être toujours vieille, d’encore le temps qui passe. Et pour ce projet-là en particulier, j’ai invité les gens à venir partager le thé avec moi, des fins de semaine et discuter de ces sujets-là. Ça a très bien fonctionné et c’était vraiment intéressant.
 
Franc-Parler : Dans une galerie ?
Barbara Claus : Dans une galerie à Montréal, oui, oui. Je proposais à des gens de venir discuter de ces thèmes-là [je suis vieille, je suis morte, je suis foutue]. Mais depuis qu’il y a eu cet événement à Charlie Hebdo (attentat à Paris du 7 janvier 2015), qui m’a beaucoup affectée. Parce que j’étais dans la forêt, je n’avais pas l’internet et il y avait une tempête de neige. Et le soir, on a réussi à récupérer l’internet, en faisant des démarches auprès de la compagnie, parce que la coupole était pleine de neige. J’ai vu ça, j’étais vraiment, j’étais très très choquée par ça. J’ai commencé à écrire « je suis Charlie » mais j’avais pas vu que sur l’internet il y avait cet effet médiatique-là.
 
Barbara Claus, livre je suis foutue

Franc-Parler : Votre série “Je suis” existait déjà.
Barbara Claus : Oui, existait déjà et c’était comme en parallèle avec quelque chose qui se passait dans le monde entier. Moi, ça m’a beaucoup affectée parce que j’ai été nourrie de Charlie Hebdo quand j’étais jeune. Je dis, ma mère le lit encore, ça fait partie de ma vie d’adolescente, de jeune femme ou je ne sais pas, avant de venir au Québec. Donc, parce que c’était la liberté d’expression, parce que ce sont des artistes. Tout ça m’a beaucoup affectée, mais après ça, c’est devenu complètement différent par l’effet médiatique à travers le monde. Donc là, je me suis dit : « Est-ce que j’utilise encore le “je suis” ? » Et là, ça fait un petit temps que je ne l’ai pas utilisé, mais… Parce que ça prend toute une autre… C’est interprété d’une façon tout à fait différente à travers le monde, cette idée du “je suis”.
 
Franc-Parler : Après votre résidence au Japon, vous avez quel projet ?
Barbara Claus : Retourner au Québec dans ma petite maison dans la forêt. Parce qu’en fait, ça fait à peu près deux ans, deux ans et demi que j’ai un atelier-maison au nord de Montréal, à une heure et quart au nord de Montréal, en voiture et je ne savais pas que j’allais aimer cela autant que cela. Et quand je vois la vue que j’ai ici [bureau de la Délégation générale du Québec à Tokyo] ou de l’appartement et que je pense à la vue que j’ai des grandes fenêtres qui donnent sur les arbres. Ça me manque parfois dans cette grande ville. Et je me demande, je me pose beaucoup de questions. J’essaie de voir comment les gens peuvent vivre dans une ville de 50 millions d’habitants, de 30 millions d’habitants puis le rapport à la nature, le rapport à la verdure, le rapport à l’environnement. Avec ce qui s’est passé avec Fukushima, qui m’a aussi beaucoup, beaucoup préoccupée. En tout cas, ce qui s’est passé en mars 2011, là. C’est ça, j’ai hâte de retrouver le silence de la forêt, même si Tokyo est une ville que je trouve très calme, très très calme. À part les pompiers, une fois de temps en temps, je suis surprise.
 
Juillet 2015
Propos recueillis : Éric Priou
 
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