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Christian Carion, réalisateur du film Joyeux Noël
Article mis en ligne le 1er mai 2006
dernière modification le 25 mai 2023
Christian Carion : Joyeux Noël
 
14-18, la Grande Guerre, jamais jusque-là on n’avait mis autant d’acharnement aveugle et industriel à s’entre-tuer. Pourtant, dès la première année du conflit, des scènes de fraternisation avec l’ennemi eurent lieu, le réalisateur Christian Carion en a fait le sujet de son film, Joyeux Noël.
 
©Franc-Parler

Franc-Parler : Vous êtes du nord de la France, qu’est-ce que cela représentait pour vous de tourner ce film ?
Christian Carion : Le fait d’être dans le nord de la France, pour moi, ça a été vivre sur le chantier qu’a été la guerre de 14, l’ancien front. Mes parents étaient paysans et on a dans nos champs plein d’obus encore de cette guerre qui n’ont pas encore explosé du reste, qu’il faut évacuer régulièrement etc. On vit dans le souvenir de 14. C’est une guerre qui m’a toujours, moi beaucoup touché. Et en lisant beaucoup de choses qui s’y rapportaient, j’ai découvert, il y a 14 ans maintenant, qu’il y a eu des fraternisations le soir de Noël de 1914. C’était mon point de départ.
 

Franc-Parler : Avez-vous eu le soutien des armées française, allemande ou anglaise pour faire ce film ?
Christian Carion : De manière mitigée. J’avais demandé à ce que les acteurs puissent faire une semaine de formation en tenue de l’époque et avec le matériel de l’époque. Et là, j’ai trouvé un officier dans chaque pays pour faire ça et en même temps, je voulais tourner en France dans un camp militaire et on ne m’a pas donné l’autorisation. En fait, c’était par rapport au sujet. Là, j’ai été un peu échaudé. Donc, j’ai dû quitter le territoire et j’ai tourné en Roumanie. C’est une minorité de blocage, je dirais. Mais il y a quand même encore des gens qui sont peu nombreux, mais qui estiment qu’il ne faut pas présenter le film comme ça, à savoir, de faire de ces gens, des hommes attachants. Pour eux, c’est des lâches.
 
Franc-Parler : Vous avez tourné avec des équipes de différents pays. Avez-vous organisé d’une façon spéciale votre film en fonction des équipes ?
Christian Carion : La coproduction, elle n’a pas été imposée, elle a été désirée. Je ne voulais pas faire le film de manière franco-française. Ce n’est pas une histoire franco-française. Je voulais une vraie coproduction allemande, britannique, française et belge dès le début. Après on a appris à travailler ensemble. Donc, chacun a apporté ses compétences : les costumes, le maquillage, c’est les Anglais, le décor, ce sont les Français, les Allemands, c’est toute l’organisation, les Belges, le son et la lumière. On s’est répartis là-dessus et ça a été super agréable de faire ça.
 

Franc-Parler : Est-ce que les acteurs, les techniciens, les figurants ont discuté du sujet du film ?
Christian Carion : Oui, je ne voulais pas qu’ils viennent là pointer. Alors évidemment, avec les acteurs, on a beaucoup discuté avant, le fait que ce soit une histoire vraie. Je leur ai dit de toute façon, si ça n’avait pas été une histoire vraie, je n’aurais pas fait ce film. Je ne suis pas peace and love and co. Ce qui m’intéresse justement, c’est que justement, cette histoire, elle est vraie, elle a été cachée et que je voulais qu’elle fasse le tour du monde, si vous voulez. Ça, je l’ai expliqué aux acteurs. Concernant les figurants qui étaient roumains, qui ne s’expriment pas, on leur a fait un petit cours d’histoire sur qu’est-ce que c’est, cette guerre de 14, et qu’est-ce qui s’est passé ce soir-là. C’est très important, je trouve, d’expliquer et de communiquer pourquoi on est là et qu’est-ce qu’on fait.
 
Franc-Parler : Vous avez dit le tour du monde. Est-ce que votre film a été acheté par des pays actuellement en guerre ?
Christian Carion : Oui, je reviens des États-Unis. Je considère que c’est un pays en guerre. J’ai passé une semaine là-bas, pas seulement pour les oscars, pour la sortie américaine de Joyeux Noël. C’est intéressant d’aller à Denver, à Minneapolis, il n’y a pas que New-York et Los-Angeles. Et là, mon sentiment : ils ont compris qu’on leur avait menti, il n’y a pas d’armes de destruction massive, ils ont compris qu’ils ne sont pas prêts de rentrer. Enfin bref, c’est le blues…
 
Franc-Parler : En France, il y a un débat entre les historiens : d’un côté ceux qui disent que la guerre a duré longtemps parce que les gens voulaient se battre, d’autres disent que l’état-major voulait que les gens se battent. Comment vous situez-vous ?
Christian Carion : Mon sentiment, personne n’a de vérités, tout le monde n’a que des opinions. Donc, c’est que la guerre, les gens ne la voulaient pas. Pour moi, la guerre n’est pas quelque chose de naturel chez l’homme. On a tous de la violence en nous, ça c’est vrai. Mais la guerre, ce n’est pas la violence, la guerre, c’est une organisation, c’est du boulot. Il faut convaincre les gens de la faire, il faut mettre en place une propagande, une communication, il faut du matériel. Enfin, bref, c’est une organisation énorme, c’est difficile. Cette guerre, les puissances politiques de l’époque, l’ont voulue pour des raisons diverses et elles ont tout fait pour convaincre leurs populations de la faire. Ça passe par la propagande, C’est pour cela que le film s’ouvre sur trois enfants qui récitent tout simplement le discours de haine qui baignait les écoles de l’époque. Ça commence à l’école.
 

Franc-Parler : Vous avez choisi comme un des symboles de l’absurdité, un chat emprisonné…
Christian Carion : J’ai fait deux ans de recherches sur ces fraternisations. On ne peut pas se permettre de raconter n’importe quoi et je le dis haut et clair : « Tout ce qui est raconté dans ce film est vrai. » Le chat, c’est une histoire vraie qui s’est terminée plus tragiquement que dans le film puisque l’armée française l’a arrêté, l’a jugé et l’a exécuté pour entente avec l’ennemi. J’ai filmé la scène de la mise à mort du chat mais je n’ai pas voulu la garder parce que ma mère m’a dit : « Personne ne te croira que c’est une histoire vraie » et je ne voulais pas prendre le risque que les gens doutent. Je n’ai pas gardé cette scène, elle est dans le dvd et voilà. Moi, ce qui me plaisait dans cette histoire, c’est qu’à partir du moment où les gens se voient, se serrent la main, se montrent les photos des femmes et des enfants, l’idée même de la guerre s’écroule. Je voulais montrer l’absurdité de la guerre de manière positive, j’allais dire. Quand on montre des gens qui s’entre-tuent, c’est absurde, mais montrer des gens qui jouent au foot, c’est encore plus absurde et c’est plus intéressant pour moi.
 
Franc-Parler : Vous apparaissez furtivement dans le film…Vous avez choisi la scène ?
Christian Carion : Vous êtes l’un des seuls à l’avoir remarqué. Je ne suis pas Alfred Hitchcock qui avait décidé de se mettre dans tous ses films. Je l’avais fait dans Une hirondelle [a fait le printemps] et j’avais trouvé cela très difficile. Et puis là, je ne sais plus pourquoi, c’est une vieille histoire sans doute, je joue un médecin écossais, à l’opposé de moi mais ça m’a fait plaisir de me retrouver avec Gary Lewis que j’admire énormément.
 
Mai 2006
Propos recueillis : Éric Priou
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