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Le compositeur Alain Moëne
Article mis en ligne le 1er mars 2011
dernière modification le 23 mai 2023
Alain Moëne : La liberté de ton
 
Ce 4 janvier 2011 l’ensemble Muromachi a joué en première mondiale au Tokyo Bunka Kaikan, “Monotagari, la rencontre”, une composition associant instruments japonais et européens, spécialement écrite pour la circonstance par Alain Moëne. Une rencontre fructueuse pour le compositeur qui a été auparavant directeur artistique de l’Orchestre National de France et exercé de nombreuses responsabilités au sein de Radio France : chef de programme de France-Musique, responsable du service de la création…
 

Franc-Parler : Vous avez été élève d’André Jolivet…
Alain Moëne : J’ai été dans sa classe les deux premières années où il a exercé. En fait, je suis plutôt dans les premiers élèves d’André Jolivet au Conservatoire en même temps que Tôn Thât Tiêt, Yoshihisa Taïra, Édith Lejet. Je ne crois pas que la composition s’enseigne en fait, mais André Jolivet était un homme d’abord très sympathique et bref, ce qu’il m’a surtout donné, c’est le sentiment que je pouvais composer. C’est-à-dire, quand on est au tout début, quand on est élève au Conservatoire, il y a un moment où on est un peu impressionné par les modèles. D’une part, on apprend ces modèles, mais surtout on se dit : « Après tout, pourquoi pas moi ? » Et là, il a joué un rôle important parce qu’il était très positif, disponible.
 
Franc-Parler : Quelles sont les œuvres, le langage musical qui vous attirent ?
Alain Moëne : Ça, c’est compliqué. Tous les langages actuels m’intéressent, j’essaie de ne pas m’enfermer dans des catégories. C’est une des difficultés dans la musique contemporaine de maintenant, qui est une sorte de compétition qui est à la fois artistique et aussi une compétition pour tous les moyens dont dispose la musique contemporaine : les subventions, toutes ces choses-là. Chaque compositeur est un peu incité à se définir en incluant certaines choses qui permettent de se différencier des autres. Bref, ça ne m’intéresse pas beaucoup. Peu à peu, j’ai construit un langage avec les choses qui m’intéressaient. Bien sûr, ce langage évolue mais je ne peux pas et je ne tiens pas à le caractériser.
 
Franc-Parler : Vous avez axé une partie de vos recherches sur la microtonalité. Pourriez-vous expliquer ce que c’est ?
Alain Moëne : La microtonalité, c’est l’usage d’intervalles plus petits que le demi ton qui est l’intervalle le plus petit dans la musique classique parce que ça permet de sortir des réflexes auditifs qui sont installés depuis des siècles en Europe et qui maintenant commencent, je suppose, à s’installer au Japon aussi. À l’heure actuelle, j’éprouve un fort besoin de me libérer de ce que je considère un peu comme un carcan, donc, de voir un intervalle plus petit que le demi ton. On a à la fois sur le plan horizontal, sur le plan mélodique et sur le plan vertical, sur le plan harmonique, des possibilités qui permettent d’échapper un peu à ces échelles complètement rigides dans lesquelles moi, en occident, je suis né. Bien sûr, la musique traditionnelle japonaise a vécu les choses tout à fait autrement. C’est pour ça que j’étais très intéressé par le projet Muromachi parce que la notion de hauteur n’est pas tout à fait la même. Elle n’est pas aussi rigide, elle permet beaucoup plus d’inflexions et les instruments sont beaucoup plus souples.
 

Franc-Parler : Faire jouer deux de vos compositions ce 4 janvier 2011 à Tokyo, est-ce que ça a représenté un défi ou quelque chose de particulier ?
Alain Moëne : Pour moi, c’était extrêmement agitant parce que j’avais un peu découvert la musique traditionnelle japonaise il y a très longtemps, il y a près d’une quarantaine d’années. Pensez un peu à la fois mon intérêt et la possibilité de mieux la connaître, donc la proposition de l’ensemble d’utiliser des instruments traditionnels m’a beaucoup beaucoup excité. Dès qu’on m’a proposé la chose, j’ai beaucoup tenu à la faire. Sachant que je ne connaissais pas les détails de la facture et du mécanisme de tous les instruments japonais, je n’ai pas pris certains risques de faire des choses qui n’auraient pas fonctionné. C’est un petit peu un fantasme de musique japonaise par un occidental.
 
Franc-Parler : Pour changer de registre, dans vos activités à Radio France et l’Orchestre national de France, quelle évolution avez-vous sentie dans les demandes du public ?
Alain Moëne : C’est plus tout à fait récent, l’Orchestre national de France, je l’ai quitté depuis longtemps. Je peux parler principalement pour le public français bien sûr puisqu’à part des tournées, dont des tournées au Japon, c’est le public français qu’on rencontre. Il y a en France, je crains, une certaine désaffection du public pour la musique symphonique. Les salles ne se remplissent pas si facilement, à Paris par exemple. Donc, c’est un petit peu une question préoccupante de savoir ce que ça sera dans dix ans, dans vingt ans si cette tendance continue. Rien ne prouve qu’elle continuera.
 
Franc-Parler : Maintenant, vous vous consacrez uniquement à la composition ?
Alain Moëne : Oui. J’ai quitté Radio France. C’était pour moi, bon passionnant, mais une énorme contrainte parce que d’abord ça prenait beaucoup, beaucoup de temps, beaucoup d’énergie et ça me mettait dans une position très inconfortable en temps que compositeur. C’est-à-dire qu’étant chargé de programmer de la musique, d’engager des artistes, j’étais en porte-à-faux entre ma fonction à Radio France, une certaine impartialité par rapport à l’évaluation de la valeur des choses et le fait que moi-même je composais de la musique qui avait vocation à être jouée. Quand j’étais à Radio France, j’en étais arrivé à l’époque où je dirigeais France-Musique à interdire qu’on diffuse ma musique. C’était insupportable quoi. Ça ne pouvait pas durer indéfiniment.
 
Franc-Parler : Vous vous mettez à la tâche tous les jours ou lorsque vous avez un moment de libre ?
Alain Moëne : Maintenant heureusement, tout mon temps est libre si j’ose dire. Je n’ai pas de contrainte sociale donc je mène mes projets tout à fait au rythme qui me convient. Ça veut dire que quand je suis en train de composer une pièce, c’est sûr que c’est tous les jours, quelquefois de nombreuses heures par jour mais il y a aussi des périodes où je prends un peu plus de recul, où j’essaie de penser à autre chose ou de voir les choses autrement. Je ne suis pas esclave de mon travail, je le fais parce que j’ai envie de le faire et quand j’ai envie de le faire.
 
Mars 2011
Propos recueillis : Éric Priou
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