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Alain Corneau, réalisateur du film Stupeur et tremblements d’après Amélie Nothomb
Article mis en ligne le 1er décembre 2003
dernière modification le 25 mai 2023
Alain Corneau, réalisateur du film Stupeur et tremblements d’après Amélie Nothomb
 
Le livre d’Amélie Nothomb.Stupeur et tremblements, tiré sur de sa propre expérience d’échec d’intégration dans une grande entreprise japonaise a fait grincer bien des dents. En voici l’adaptation à l’écran par le metteur en scène Alain Corneau, rencontré lors du dernier Festival du film français de Yokohama.
 
©Franc-Parler

Franc-Parler : Comment en êtes vous venu à ce film ?
Alain Corneau : À mon avis, c’est toujours le rapport entre deux choses complémentaires et contradictoires comme tout dans la vie, c’est ce que je crois. Il y a d’abord une envie profonde, mais qui est inconsciente. Parce que moi, j’aime me promener, j’ai tourné un peu dans le monde entier, j’aime bien m‘affronter à des cultures très très éloignées. C’est comme ça qu’on se connaît à mon avis. Mais quand j’aime un pays ou que je me pose des questions sur un pays, je ne pense jamais à y faire un film et puis des fois, il y a le miracle d’une rencontre de hasard avec un livre. Ça m’est arrivé sur l’Inde avec Nocturne indien. J’ai lu le livre d’Amélie, je me suis dit : « Tiens, c’est amusant », je me suis beaucoup amusé. Ce n’est que plusieurs mois plus tard où je reprends le livre et d’un seul coup je me suis dit : « Tiens, il y a un film qui est possible. » Voilà, ça s’est passé comme ça. Alors pourquoi ? Parce qu’il parle du Japon ? Mais à mon avis, il ne parle pas vraiment du Japon. Le Japon comme toujours est une métaphore pour expliquer les Européens eux-mêmes. Chaque personne se fait une idée du Japon qui renvoie à la propre personne. Enfin bon. Mais ce qui m’intéressait beaucoup, et je ne l’ai su qu’après et petit à petit, c’est que le personnage féminin d’Amélie se construisait lui-même d’une manière contradictoire jusqu’à, enfin, trouver sa propre identité à la fin grâce à l’expérience japonaise et d’une manière illogique, paradoxale, mais quand même positive. Voilà, c’est pour ça que ça m’a amusé. On pouvait faire le film dans un lieu unique d’une manière très très légère, etc. Tout cela faisait un concours de circonstances.
 
Franc-Parler : Le film a été tourné en France, au Japon ?
Alain Corneau : Je n’avais pas d’opinion là-dessus. On a eu une préparation à Tokyo, une préparation à Paris et sur les décors, je disais que, évidemment, j’aurais préféré tourner à Tokyo mais pour des points de vue économique et de recherche… On a donc cherché à Tokyo et ils ne m’ont jamais trouvé un décor dans un seul lieu : par les fenêtres, il n’y avait pas grand-chose, c’était cher…Et à Paris par contre, on a eu d’un seul coup, par un miracle, un étage entier libre équipé, etc. Donc, on a choisi de tourner à Paris. Mais c’est vraiment purement factuel, ce n’a pas été une décision de ne pas être au Japon. On a tourné un tout petit peu au Japon les extérieurs à Kyoto, au Ryoan-ji et le reste on l’a fait à Paris.
 
Franc-Parler : Dans le livre aussi, tout se passe en espace clos ?
Alain Corneau : Oui, encore plus dans le livre. Dans le livre c’est vraiment tout dans un seul lieu. C’est une sorte de microcosme révélateur du monde dans son esprit. À un moment dans le film, elle dit : « Ne pensez pas que je n’avais aucune vie hors du bureau ! Simplement, ce n’est pas le sujet. » Voilà, c’est tout ce qu’elle dit. Donc, je me suis dit : « Je vais respecter ça », je crois que c’est vrai, ce n’est pas la peine d’aller dans sa vie personnelle, la question n’est pas là. Je crois qu’en plus les rapports hiérarchiques qui sont dans le bureau sont des rapports immuables. Par contre ce que j’ai rajouté, qui n’est pas dans le livre, c’est le jardin du Ryoan-ji, que moi je connaissais et qui est quelque chose qui m’a toujours frappé, que je pensais être un des nombrils du monde. Elle dit dans le livre qu’elle veut retrouver son éblouissement d’enfance et je crois d’ailleurs que c’est plutôt ça. Quand elle dit : « Je veux être japonaise », elle a envie de redevenir enfant, tout le monde a envie de ça. Et à ce moment-là, ce fantasme-là, je ne pouvais pas le montrer, moi avec une famille sympathique. J’avais besoin de quelque chose de beaucoup plus synthétique. C’est là où m’est venue l’idée du jardin qui pour un Européen et pour un Japonais d’ailleurs, continue à être mystérieux et en même temps est d’une telle beauté évidente qu’on ne peut qu’avoir envie de fantasmer. Par contre, personne ne peut savoir ce qu’il y a derrière ce fantasme. Et là on retombe dans le mystère du Japon.
 
Franc-Parler : Vous êtes resté en contact constant avec Amélie Nothomb ?
Alain Corneau : Oui, vous savez, moi j’ai travaillé beaucoup sur des adaptations avec des auteurs, j’aime beaucoup les auteurs et je leur demande toujours de travailler avec moi. Je ne me méfie jamais des auteurs, je pense qu’un auteur a beaucoup de choses à apporter. Et puis là vous avez deux races d’auteurs, il y a ceux qui disent : « Oui, ça m’intéresse » et puis il y a ceux qui disent : « Ben non, je ne sais pas quoi faire, ça ne m’intéresse pas ou du moins je ne saurais pas quoi en faire. » Et Amélie est de cette race-là. Donc quand c’est ce cas, quand ils ne veulent pas travailler avec moi sur l’adaptation, je leur demande toujours l’autorisation de leur donner le scénario juste avant le tournage pour quand même avoir leur avis. C’est ce que j’ai fait avec Amélie et puis après, par contre, elle est la première personne à qui j’ai montré le film encore en cours de montage bien sûr.
 
Franc-Parler : Vous avez inséré une scène du film Furyo. C’était dans le livre ?
Alain Corneau : Alors dans le livre, ils évoquaient le film. J’en ai parlé avec Nothomb. Pour Nothomb, c’est un film fondateur. C’est-à-dire que c’est un film qui l’a beaucoup impressionnée et effectivement, si vous lisez quelques livres de Nothomb et parmi les meilleurs, elle reprend constamment le même système de rapports paradoxal entre deux personnes du même sexe, fascination, haine, répulsion, attirance etc. Qui est à mon avis un rapport extraordinairement productif et pas du tout négatif. On peut le prendre comme sado-maso, mais c’est très réducteur et l’homosexualité n’est pas là non plus. C’est beaucoup plus important que ça et je crois que c’est une très bonne image du rapport entre cultures, du rapport entre êtres mais aussi du rapport de soi avec soi-même. C’est exactement le même. Je crois que c’est un très bon procédé dramatique de tension-détente qui fonctionne très bien et grâce à ça. Donc, Furyo évidemment est une sorte d’étalon-or mais il y en a d’autres dans le cinéma japonais. C’est vrai que c’est un thème assez récurrent. Ça m’a plu d’un seul coup de pouvoir mettre à la différence du livre où elle ne fait qu’en parler, de pouvoir mettre les vraies images évidemment de Sakamoto et David Bowie, bien sûr que oui.
 
Franc-Parler : Le personnage tel qu’elle se décrit est assez volontaire.
Alain Corneau : Ah oui, c’est un personnage tout à fait extraordinaire, Nothomb dans la vie. Elle a toute une histoire de folklore, elle est très fantasque, elle est très imaginative, c’est une graphomane, elle écrit absolument sans arrêt. C’est vrai qu’elle est enceinte d’un nouveau livre, elle doit en avoir 50 dans ses tiroirs. Elle est ce type de personnage. Il y a quelque chose qui est fort dans le livre, que nous connaissons bien en France, qui est son côté belge. C’est-à-dire qu’elle a un humour d’auto-dérision, une façon de se regarder, une tendance au surréel, qui n’est pas du tout français, qui est très belge et pour moi c’était peut-être encore plus difficile de pénétrer ce mystère de la belgitude que celui du Japon.
 
Franc-Parler : Vous en aviez deux finalement.
Alain Corneau : Absolument. C’est tout à fait vrai. Amélie, par exemple, dans son principe d’écriture a des procédés visibles, mais qui sont en même temps assez mystérieux. Et sur l’humour surtout, ce ne sont pas des livres comiques, mais ce sont des livres drôles et ça c’est une chose que les Français ne savent pas bien faire. Donc, moi là-dessus, je suis très modeste. J’ai dit très simplement : « On va jouer la situation. Si c’est drôle, tant mieux mais on ne va pas faire une comédie. » Je veux dire, bon si ça paraît une comédie, tant mieux mais on n’y peut rien à part de jouer la situation honnêtement et le plus sincèrement possible.
 
Franc-Parler : Comment imaginez-vous la réaction du public japonais ?
Alain Corneau : Je respecte trop le Japon pour imaginer quoi que ce soit par rapport à eux. C’est à eux de…Je ne peux absolument pas prévoir leur réaction. Simplement je peux dire en précaution élémentaire que si un Japonais faisait un film un peu sarcastique sur la culture d’entreprise française, je me demande comment réagiraient les Français. Simplement, je suis moi très serein là-dessus dans la mesure où je pense le plus sincèrement du monde que ce film est une déclaration d’amour envers le Japon. C’est ce que je pense, en tout cas c’est ce que pense Amélie de son livre aussi. Et quand les gens lisent bien, ils voient très bien que c’est la vérité.
 
Décembre 2003
Propos recueillis : Éric Priou
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